Alors que le Château Frontenac n’avait pas encore sa tour centrale et que les architectes rivalisaient d’ingéniosité pour façonner le patrimoine qui séduit encore un siècle plus tard, l’architecte Georges-Émile Tanguay érigeait, en 1912, la caserne Dalhousie, également connue sous le nom de “poste de pompier numéro 5”. De style Beaux-Arts, elle constitue aujourd’hui l’un des édifices les plus remarquables de la rue Dalhousie.
Cependant, le talentueux Tanguay n’avait pas anticipé l’évolution des camions de pompiers. En 1913 la ville a par exemple une voiture à échelles Seagrave de 5,500 livres tirée par un attelage de 5 chevaux (qu’on envisage de remplacer par un « tracteur automobile »). Or avec les décennies qui passent, les véhicules deviennent de plus en plus scintillants et imposants. Les portes, devenues trop étroites, ont rendu la caserne inadaptée, forçant son abandon par les services municipaux. Ce scénario, tristement banal en Amérique du Nord, trouve de nombreux échos à Québec même.
L’ère Lepage: astucieux clin d’œil à la caserne et au théâtre
Abandonné, le bâtiment a dû attendre 1997 et l’intervention de Robert Lepage, metteur en scène et scénographe de renom, pour être récupéré et métamorphosé. Comme il le répétera des décennies plus tard avec le YMCA de la Place d’Youville, le façadisme prédomine : la façade est préservée, tandis que l’arrière est démoli pour créer des espaces fonctionnels pour sa compagnie Ex Machina.
Sur les côtés des rues Bell et de la Barricade, le théâtre arbore un style contemporain, mais reste discret. Du côté de la rue Dalhousie, l’extension se pare d’un décor théâtral qui reproduit fidèlement le style et les teintes de la caserne originelle.
À chaque visite guidée hivernale du Vieux-Québec, je me plaisais à faire deviner à mes clients, depuis le coin de la rue, les matériaux utilisés. L’illusion était parfaite. Ce n’est qu’en s’approchant de la fausse façade et en frappant la surface qu’on découvrait qu’il s’agissait de fibre de verre, et non de brique et de pierre. La surprise et l’émerveillement étaient garantis.
Agrandissement résolument contemporain
Après un peu plus de deux décennies, Ex Machina a cédé la place à la troupe de théâtre jeunesse Les Gros Becs. Suite à un investissement de 37,9 millions de dollars, l’ancienne caserne a subi une seconde transformation de style entièrement contemporain: un cube avec des panneaux gris.
Depuis peu, je présente donc le projet à mes clients. Les réactions sont unanimes : la surprise est bien là, mais l’émerveillement, lui, manque cruellement. Pour certains, c’est l’effroi qui prédomine, pour d’autres, c’est la tristesse. Parfois ils ne me croient pas!
Quel patrimoine pour le futur?
En définitive, la caserne Dalhousie, à travers ses multiples métamorphoses, est devenue le reflet d’un dialogue complexe entre le passé et l’avenir, la conservation et l’innovation. Cette histoire architecturale illustre une tension palpable entre les goûts et les aspirations du grand public et ceux des architectes et des décideurs. Ce fossé, parfois abyssal, soulève une question fondamentale : dans quelle mesure les préférences et les perceptions de la communauté devraient-elles influencer les choix architecturaux et les décisions urbanistiques ?
À chaque transformation de la caserne, nous assistons à une réinterprétation de notre héritage, reflétant les évolutions de notre société et de nos valeurs esthétiques. Toutefois, ces changements, parfois sujets à controverse, nous rappellent que la préservation de notre patrimoine ne se limite pas à une affaire de pierres et de mortier ; elle concerne également le respect et l’intégration des sensibilités de ceux qui vivent et respirent au sein de ces espaces.
Il est également pertinent de se questionner sur l’héritage que nous laissons pour les générations futures. Contribuons-nous à façonner le patrimoine de demain qui inspirera et résistera à l’épreuve du temps, ou risquons-nous de laisser une empreinte architecturale éphémère et sans caractère distinctif?